Alerte : sophisme !

21 janvier 2015 par - Vue(s) d'Europe

Pas une seule journée ne passe sans que l’on relève en provenance de la Commission européenne des déclarations outrancières à l’encontre du droit d’auteur. La dernière en date est à mettre au crédit du Vice-président Ansip, en charge du numérique, qui a déclaré : « Imaginez, je veux acheter une cravate à Paris et on me dit « non, ce n’est pas pour les Estoniens ». Cela serait de la discrimination, alors pourquoi l’accepter en ligne ? ».

Ce procédé rhétorique a un nom : le sophisme qui, selon la définition qu’en donne le Larousse est un « raisonnement vicié à la base reposant sur un jeu de mots, un argument séduisant mais faux, destiné à induire l’interlocuteur en erreur ; Argument qui, partant de prémisses vraies, ou jugées telles, aboutit à une conclusion absurde et difficile à réfuter. »

Démonstration : il est évident que tout le monde serait légitimement choqué si les estoniens en voyage à Paris ne pouvaient vaquer à leurs activités commerciales préférées et faire provision de cravates. Fort heureusement, ce n’est pas le cas. Mais, là où la phrase du Vice-Président est parfaitement insidieuse, c’est qu’elle laisse à penser qu’un Estonien ne pourrait pas avoir accès aux œuvres, ou en l’occurrence aux offres de vidéo à la demande en France, parce qu’il serait Estonien. C’est totalement faux et absurde. C’est même scandaleux car cela laisse à penser que la France pratiquerait une discrimination généralisée à l’égard des étrangers.

Un estonien qui vit en France peut, s’il le veut, s’abonner à toutes les offres de vidéo à la demande disponibles sur le territoire français. Il peut même s’abonner ou regarder les œuvres distribuées par des plateformes extra-européennes qui ont fait, avec la complicité de l’Union européenne, le choix du dumping fiscal et culturel en s’établissant au Luxembourg et aux Pays-Bas pour mieux contourner les règles fiscales et de soutien à la création existantes en France.

Par contre, un estonien vivant en Estonie ne pourra pas s’abonner à une offre de vidéo à la demande en France. C’est vrai mais cela ne relève en rien d’une discrimination intolérable car les droits ont été acquis pour une exploitation sur le territoire français. Qu’on le regrette ou non, les droits des films – comme les droits du foot d’ailleurs – sont vendus territoire par territoire, souvent sur des marchés qui restent organisés autour de logiques nationales ou de bassins linguistiques. Et dans le cas du cinéma, cela a un effet positif et vertueux : cette territorialisation permet d’assurer le pré-financement et l’amortissement des œuvres qui font le cinéma français et européen, son dynamisme et sa diversité.

Il serait temps que ceux qui sont en charge du numérique, au plus haut niveau de la Commission européenne, regardent avec plus de lucidité et d’honnêteté les enjeux d’une réforme du droit d’auteur qui ne doit pas se résumer au seul intérêt de certains consommateurs (qui n’est d’ailleurs pas la propriété de quelque organisation car nous sommes tous consommateurs !) mais qui est aussi celle du financement des œuvres. Naturellement, cela ne peut s’envisager si les responsables européens se réfugient dans des sophismes qui ne sont pas à la hauteur des défis de l’Europe et considèrent qu’il n’y a pas de différences entre une cravate et une œuvre culturelle !

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