Conseil de lecture pour Thierry Breton
29 octobre 2019 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
A l’approche de son audition par les députés européens, on ne saurait trop conseiller au candidat français au poste de commissaire en charge du marché intérieur et du numérique, Thierry Breton, une lecture originale mais très utile : le dernier post de blog d’Alain Le Diberder consacré au prix prédateur des futures offres Apple TV+ et Disney +.
Avec des prix de lancement aux USA – et sensiblement la même chose pour l’Europe – de 5 dollars par mois pour Apple TV+ et 6,99 dollars par mois pour Disney +, les nouvelles offres de vidéo à la demande par abonnement frappent fort pour attirer le potentiel client. Mais, surtout, elles frappent en dessous de la ceinture avec des tarifs qui sont bien inférieurs aux coûts générés par le développement de ces services : mise en place et déploiement des infrastructures technologiques, coût de la bande passante, acquisition et investissement dans les programmes, recrutement des abonnés… Tout laisse à penser, pour reprendre l’expression d’Alain Le Diberder, que ses prix ne seront pas soutenables longtemps.
En revanche, cette concurrence exacerbée entre entreprises américaines aux comptes en banque bien garnies ne sera pas neutre, ni pour le consommateur européen, ni pour les créateurs européens ni pour les entreprises européennes. Elle pourrait même faire de grands dégâts. Pour le consommateur, la concurrence sur les prix ira de pair avec un éparpillement et un émiettement de l’offre qui peut obliger à multiplier les abonnements et donc à renchérir le coût. Pour les entreprises européennes de l’audiovisuel, comment résister si une Europe sans règles devient le terrain de jeu et d’affrontement des géants venus d’Outre-Atlantique ? Pour les créateurs et plus globalement, le système de soutien à la création, c’est un défi redoutable. Alors qu’en France, la rémunération des auteurs, la taxe CNC et les obligations d’investissement sont des pourcentages des chiffres d’affaires, le développement sans régulation de telles offres pratiquant des prix prédateurs pourrait être le symbole d’une dévalorisation et d’une démonétisation très forte des offres culturelles.
De l’économie à la politique, il n’y a qu’un pas que notre candidat Commissaire devrait franchir en se saisissant de ce que Le Diberder qualifie de dumping. Il n’a pas tort et l’Europe a là, devant elle, l’occasion de sortir d’une posture qui la faisait être, en matière de droit de la concurrence, plus royaliste que le roi. A l’heure où les grandes manœuvres américaines et chinoises ont largement débuté dans le champ du numérique, il est grand temps de sortir d’une forme de candeur si l’Europe ne veut pas être le champ de bataille des entreprises extra-européennes.
Le vote des directives sur les services de médias audiovisuels et sur le droit d’auteur cette année a marqué le début de cette reprise en main avec cette volonté d’intégrer les grands acteurs du numérique au financement et à la diffusion de la création européenne et de mettre un terme à des situations aberrantes de concurrence déloyale.
L’apparition de ces nouvelles offres de vidéo à la demande à prix cassé montre que la réponse doit encore être enrichie, complétée et confortée. C’est un nouvel enjeu clé pour l’exécutif européen et la Commission d’Ursula Von Der Leyen. Il en va de notre souveraineté culturelle comme du dynamisme du secteur créatif à l’ère numérique.
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