Décision de la CJUE sur l’arrêt SABAM c. Netlog : Rien de nouveau sous le soleil !
22 février 2012 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
Les réactions à la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne rendue jeudi 16 février dans l’affaire SABAM c. Netlog fleurissent ces derniers jours sur Internet. Elles soulignent pour beaucoup la victoire des droits fondamentaux et relient cette décision à l’Accord commercial anti –contrefaçon (ACAC ou ACTA selon son acronyme anglais).
Cette décision reçue comme une heureuse surprise par les organisations et les eurodéputés défendant la liberté d’Internet était pourtant loin d’en être une puisque la Cour de justice était saisie d’une à celle qui lui avait été posée très récemment et dans laquelle elle avait dit pour droit que les textes européens s’opposaient à une injonction prise à l’encontre d’un intermédiaire technique de mettre en place un système de filtrage généralisé, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation de temps.
Rien de surprenant donc à ce que la Cour, comme elle l’avait fait dans l’arrêt du 24. 11.2012 Scarlet c. SABAM et précédemment dans l’arrêt Promusicae (29 janvier 2008), considère et apprécie la validité de cette mesure au regard non seulement des directives européennes pertinentes mais également à la lumière des droits fondamentaux en présence protégés par la Charte européenne des droits fondamentaux, à savoir d’un côté le respect des droits de propriété intellectuelle et de l’autre, le droit à la protection des données personnelles et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations.
Est-ce que cela veut dire pour autant que cet arrêt représente un affaiblissement de la protection des droits de propriété intellectuelle ?
Non, ce n’est pas le cas : quand deux droits fondamentaux sont en présence, ils sont à concilier ; à « mettre en balance ». Tout est une question de mesure. Comme le précise la CJUE dans sa décision, cela ne remet pas en cause la possibilité pour le juge d’enjoindre aux intermédiaires de prendre des mesures visant non seulement à mettre fin aux atteintes déjà portées aux droits de propriété intellectuelle mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes. En bref, des injonctions pour le futur oui mais pas de filtrage généralisé.
Mais alors si cet arrêt n’apporte rien de nouveau du point de vue de la législation et de la jurisprudence européenne, qu’apporte-t-il de nouveau par rapport à l’ACTA ?
Techniquement, rien puisque :
1) la Cour ne se prononce que sur la question préjudicielle qui lui est posée et que dans tous les cas, l’ACTA ne faisant pas partie de l’acquis communautaire (car non signée et ratifiée par toutes ses Parties), elle ne pourrait s’y référer et
2) la démonstration de la CJUE est en tout point la même que celle tenue dans un arrêt rendu voilà près de 4 mois !
Si l’on cherche un peu, on comprend que « l’absence de légalité des mécanismes promus par l’ACTA » ou « des ressorts de l’ACTA » mentionnés notamment par la députée européenne Françoise Castex, font référence à la section relative aux respects des droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique et notamment à l’art. 27. 3 de l’ACTA qui vise à promouvoir la coopération des milieux d’affaire à la lutte contre les atteintes au droit d’auteur.
Le terme « des efforts de coopération » ne précisent en rien le niveau de cette coopération et les mesures que les Parties [ie. chaque Etat membre + l’Union européenne] doivent s’efforcer de promouvoir. Des mécanismes de filtrage tels que celui demandé par la SABAM seraient donc, si l’on s’arrête à cette portion de phrase, envisageable. Cependant, cette interprétation ne tient pas compte :
1) De la suite de la phrase : « tout en préservant la concurrence légitime et, en accord avec la législation de cette Partie les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée ».
2) Du § 27.2 de l’ACTA qui précise que les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelles, dont entre autres celles énoncées à la section 2 de l’ACTA (section qui mentionne les injonctions) sont appliquées « en conformité avec la législation de cette Partie, préserve des principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée ».
Si le respect de la liberté d’expression est un combat juste- et les créateurs ne diront pas le contraire- il serait utile au débat démocratique, que ceux qui cherchent à la défendre sur Internet, utilisent une argumentation juste et honnête et ne participent pas à la désinformation qu’ils critiquent quand elle provient des institutions européennes.
Ça, ce serait nouveau !
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