Démocratie ! Vous avez dit démocratie ?
10 février 2014 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
La nouvelle consultation publique que la Commission européenne a décidée d’organiser depuis le 5 décembre dernier sur la révision des règles de l’Union européenne en matière de droit d’auteur a vu finalement son échéance repoussé au 5 mars. Elle mériterait beaucoup d’observations, à commencer par ce nouvel accroc fait au respect de la diversité linguistique de l’Union puisque la Commission, oubliant sans doute qu’elle avait à sa disposition quelques centaines de traducteurs, n’a pas jugé bon de faire traduire sa consultation dans d’autres langues que l’anglais. L’exercice de la consultation commençait donc déjà mal pour le citoyen européen non anglophone.
Arrêtons-nous plutôt sur les limites de ce qui est au départ une démarche démocratique louable, tant la volonté d’ écouter les citoyens européens ne peut évidemment pas être en soi critiquée.
Car voilà, la démocratie s’est trouvée assiégée de deux côtés : d’une part, les fonctionnaires européens qui ont rédigé cette consultation longue de 36 pages et de 80 questions se sont ingéniés à le truffer de questions complexes et biaisées et de points de vue clairement orientés qui en disent longs sur les motivations anti-droits d’auteurs de ces rédacteurs. D’autre part, les militants internautes regroupés au sein d’associations telles que la Quadrature du net ou le Parti pirate n’ont pu résister à l’envie d’organiser des réponses en masse et de faire une démonstration de force pour accréditer l’idée que l’ensemble des internautes européens veulent une évolution des règles du droit d’auteur.
Tous ces groupes qui refusent l’étiquette de lobbyistes pour mieux mettre en avant la noblesse de leur militantisme devraient pourtant faire preuve davantage d’honnêteté et d’objectivité sur la nature de leurs pratiques. Car quelle différence y a-t-il entre un maire qui, le jour des élections, va chercher avec des camionnettes des personnes âgées à la sortie des hospices pour les emmener voter (pour lui évidemment !) et des associations qui préparent des réponses toutes faites pour que leurs membres puissent inonder les boites mails des fonctionnaires de la Commission ? Aucune !
Or, ce que tout le monde réprouve moralement – à juste titre – parce que la manipulation du vote est une déviance de la démocratie ne serait pas condamnable quand il s’agit de groupes d’internautes. Disons-le clairement, les modèles de réponses préparées par la quadrature du Net ou celles concoctées par le Parti Pirate nous éloignent du champ légitime de l’information de ses membres et nous rapprochent d’une forme de manipulation.
C’est sans doute le plus grave dans cette affaire que de voir une démarche démocratique être confisquée par des organisations, peu représentatives des centaines de millions d’internautes européens et qui ne font que remettre au goût du jour et de la technologie les vieilles ficelles de la manipulation et du clientélisme politique.
Au final, avec cette consultation, c’est l’illustration d’un processus européen qui déraille, qui fait croire à un dialogue entre les institutions et les européens. Le citoyen-expert qui répondra à cette consultation sera bien plus souvent un militant zélé à qui on a fourni des réponses clé en main. Comme au temps pas si ancien où les édiles locaux faisaient participer en masse leurs militants aux enquêtes publiques en rédigeant à leur place des mots de soutien à des projets toujours excellents et formidables.
En réponse, il n’y a alors plus d’autres solutions que de se démultiplier à son tour pour rééquilibrer le rapport de forces. Se multiplient alors les réponses, les courriers et autres pétitions.
Pas sûr que la démocratie en sorte réellement gagnante et que l’avenir du droit d’auteur se dessine avec autant de clarté qu’il le mériterait.
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