Directive droit d’auteur : entre mythes et « mythos »
28 novembre 2018 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
Sacrifiant à la mode en vigueur chez les lobbies à Bruxelles, YouTube vient de publier sa note pour dénoncer 6 supposés mythes autour de l’article 13 de la directive sur le droit d’auteur et souligner les risques qui pèseraient sur l’Internet européen.
Les chiffres avancées par le géant américain sont là pour impressionner et faire peur : des centaines de milliers d’emplois risquant d’être détruits, 35 millions de chaînes YouTube seront bloquées. On est tout près de l’invasion de grillons sur l’Europe si la directive était adoptée !
Mais, finalement de quoi parlons-nous ? D’une directive qui a vocation à conforter les droits des auteurs à l’ère numérique et à renforcer la responsabilité des plateformes digitales à l’égard du droit d’auteur. Et d’un article qui a le mérite de rappeler que les opérateurs qui diffusent des œuvres sur Internet ne peuvent le faire au mépris des auteurs.
Ce lobbying forcené, qui a vu la grande patronne de YouTube, Susan Wojcicki, quitter sa Californie pour venir faire récemment le tour des popotes parlementaires à Strasbourg et tenter d’évangéliser le quidam européen, interpelle. Il place sur le devant de la scène un acteur américain d’envergure mondiale, YouTube, qui, au moins en France a pris des engagements positifs de rémunération auprès des auteurs et videastes, et les tient. Ce faisant, il permet aux nouveaux comme Instagram ou Snapchat de ne pas sortir du bois, et aux moins bons et déjà anciens élèves comme Facebook, de rester cachés, bien au chaud, au plus grand mépris des créateurs européens, et souvent aussi des fiscs européens.
Tout cela nous place dans une situation grotesque et paradoxale. D’un côté, cet article 13 ne sera sans doute pas une si grande révolution, notamment en France et en Belgique où YouTube a déjà conclu des accords avec les ayants droits et les sociétés d’auteurs (dont la SACD depuis 2010) ; d’un autre côté, YouTube se fait étonnamment l’avocat le plus acharné de ses plus grands concurrents mondiaux.
Ce lobbying interpelle aussi car il se fait au nom de la liberté d’expression et d’une lutte sans merci contre la censure. Le combat serait d’autant plus honorable si aujourd’hui YouTube ne démonétisait pas brutalement et unilatéralement de nombreuses œuvres, les rendant quasi-invisibles, au motif de leur non-conformité avec la politique de contenus un peu rigoriste et politiquement plutôt bien-pensante du géant américain.
Faut-il expliquer à ces Youtubeuses dont les œuvres apparemment un peu trop féministes au goût de YouTube se retrouvent démonétisées que tout cela se fait au nom de l’amour de la liberté d’expression ?
En politique, on appelle cela de la triangulation, cet art de récupérer des concepts étrangers pour se les approprier et déshabiller l’adversaire. En morale, on n’est pas loin de l’entourloupe ! Pire encore quand ce combat se double de menaces comme celles prononcées par Richard Gingras, vice-président de Google rattaché aux médias, qui annonce le possible retrait de Google News s’ils étaient contraints à rémunérer les sites d’information dont ils indexent les articles. .
Et le reste de la directive ?
Dans cette liste de mythes, il en manque assurément un : la directive ne se réduit pas à un seul et unique article. A force de monopoliser l’attention sur l’article 13, on l’aurait presque oublié.
La reconnaissance à l’article -14 d’un droit à rémunération proportionnelle pour tous les auteurs en Europe, obtenue au Parlement européen, fait notamment partie de ces grandes avancées. Il suffit d’ailleurs d’écouter la cinéaste Mira Turajlic, récente finaliste du Prix Lux au Parlement européen à Strasbourg ou de relire la lettre ouverte des finalistes de ce même prix Lux des 10 dernières années pour mesurer à quel point l’attente est forte. Or, cette avancée, qui changerait profondément la donne en Europe, est loin d’être définitivement acquise pour le moment. Et ça, ce n’est pas un mythe mais une réalité implacable, tant pour l’apport qu’elle permettrait pour les auteurs français et européens que pour sa pérennité dans le cadre des discussions du trilogue.
S’il y a une morale à toute cette agitation « lobbyistique », c’est bien celle ci : Parler des mythes, c’est bien, parler de mesures réelles qui font sens pour les auteurs et qui amélioreraient la rémunération de beaucoup d’entre eux, c’est mieux. Sinon, on sombre dans le « mytho ».
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