Droit des auteurs : l’indignité tranquille des producteurs et des chaînes allemandes
7 février 2019 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
A quelques jours du trilogue final de la directive sur le droit d’auteur, les producteurs et les télévisions allemandes, notamment les chaînes publiques, ont sorti la grosse Bertha en écrivant un courrier incendiaire à leurs pouvoirs publics. Pour dénoncer le lobbying de Google ? Pour déplorer le compromis franco-allemand, obtenu suite à la conversation téléphonique du Président Macron et la Chancelière Merkel sur l’article 13 ? Pas du tout. Leur courroux est dirigé contre les articles -14 et suivants de la directive, à savoir le droit à rémunération proportionnelle des auteurs, les obligations de transparence et de reddition de comptes et le droit pour ces derniers de révoquer leurs contrats quand ils se trouvent confrontés à un producteur indélicat ou peu diligent.
C’est toujours dans la dernière ligne droite que les coups les plus tordus se préparent. L’illustration en est une nouvelle fois fournie par ces professionnels allemands qui ne reculent devant aucune indécence : rendre des comptes aux auteurs sur l’exploitation de leurs oeuvres et les recettes générées serait une charge disproportionnée et beaucoup trop coûteuse ; accorder un droit aux auteurs d’être rémunérés n’aboutirait qu’à leur donner « des bonbons » (oui, c’est bien écrit ainsi dans leur courrier…)
La démarche est en soi décevante et honteuse car elle revient à considérer l’auteur de l’œuvre comme une sorte d’auxiliaire de la création tout juste apte à recevoir un forfait généreusement concédé par un producteur ou un diffuseur.
Disons le clairement, elle est parfaitement révoltante de la part de chaînes publiques, financées par de l’argent public, comme le sont l’ARD et la ZDF, et dont on peut attendre, en Allemagne comme ailleurs, à ce que l’esprit du service public souffle fort sur les dirigeants de ces chaînes et que les auteurs soient respectés.
Il n’en rien apparemment ! Dans cette dénonciation du droit pour les auteurs d’être associés aux recettes liées à l’exploitation de leur œuvres et de recevoir des rééditions de compte justes et régulières, on ne voit guère où se logerait le principe de transparence ni ce lien particulier qui est censé unir les services publics aux créateurs.
Alors que la France et l’Allemagne ont signé il y a quelques jours l’accord d’Aix-la-Chapelle qui pose les fondations d’une plateforme numérique audiovisuelle européenne, à partir notamment de l’offre, du savoir-faire et des technologies développées par ARTE, on ne peut qu’inviter les producteurs et les chaînes publiques allemandes à retrouver le sens de la mesure… et de la dignité.
Quant aux États européens et aux députés qui se prononceront, cette démarche est bien la preuve ultime que les articles – 14 et suivants de la directive sont d’une urgente utilité si l’on veut sortir de ces relations moyenâgeuses dans lesquelles les auteurs sont souvent piégés. Et si l’on veut montrer que l’Europe sait protéger ses créateurs !
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