Le DSA : un grand pas en arrière pour le droit d’auteur et la régulation du numérique ?
16 février 2022 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
« A l’occasion de la PFUE, un nouveau trilogue s’est réuni mardi 15 février pour se pencher sur le sort du DSA »…Une fois n’est pas coutume, les travaux européens pourraient rebuter celles et ceux qui ne sont pas des habitués du sabir politico-techno-administratif à l’œuvre à Bruxelles et à Strasbourg. Ils auraient tort car l’avenir de la régulation des grands acteurs du numérique est en jeu avec ce texte.
En effet, le DSA, ou plutôt le Digital Services Act, est une proposition de règlement européen qui vise à préciser la responsabilité des plateformes numériques au regard des risques qu’elles induisent pour leurs utilisateurs dans la diffusion de contenus et produits illicites, dangereux ou contrefaits.
L’ambition est grande, la route semble tracée mais le risque d’une sortie de route dont le secteur de la culture et de la création pourrait être l’une des victimes n’est malheureusement pas exclu.
La crainte s’est exprimée en France à travers une tribune collective publiée le 10 février dernier et signée par 61 entreprises et organisations professionnelles représentant aussi bien l’audiovisuel, le cinéma, la musique que l’édition littéraire et autant les salariés, les artistes, les auteurs que les producteurs ou les éditeurs.
Il faut dire que les textes aujourd’hui sur la table des discussions ont de quoi inquiéter celles et ceux qui ne veulent pas d’une Europe moins-disante dans la protection de ses œuvres. Ils dessinent une nouvelle régulation qui affaiblirait considérablement la responsabilité des plateformes et compliquerait la capacité des ayants-droits à obtenir le retrait des œuvres piratées.
Il suffit de deux exemples pour s’en convaincre. Alors que le DSA entend renforcer la sécurité et la confiance en ligne, les députés ont adopté une disposition prévoyant qu’après notification par les ayant droits de la présence d’une œuvre piratée, la règle pour le service numérique serait…de ne rien faire et d’attendre que l’évaluation de la légalité aille à son terme. Les mêmes précisent que Les fournisseurs de ces services ne seraient évidemment pas tenus responsables du fait du non-retrait des programmes notifiés. Cette disposition marquerait un incroyable retour en arrière et une incitation pour les acteurs du numérique à rester passifs face à la piraterie qui peut se développer sur leurs services.
La même inspiration très déresponsabilitatrice existe dans l’article qui assimile une partie de l’activité des moteurs de recherche à des services de mise en cache. Ce sont pourtant deux activités parfaitement distinctes : Si le moteur de recherche est une application permettant à un utilisateur d’effectuer une recherche locale ou en ligne, le service de cache web permet seulement une utilisation optimisée et plus rationnelle des ressources et ainsi d’augmenter les performances du service Web, notamment par un affichage plus rapide des pages Web.
Ce qui a l’apparence d’une disposition très technique permettrait en fait à des moteurs de recherche de bénéficier d’une exemption de responsabilité qu’aucune directive, et notamment pas la directive E-Commerce, n’avait jamais envisagé de leur attribuer et alors même que ces moteurs sont souvent des portes d’entrée faciles vers la piraterie.
Face à telles risques de déstabilisation du cadre européen de régulation du numérique, la volonté d’interpeller les pouvoirs publics, le Gouvernement et le Président de la République fait sens.
Elle repose sur la double responsabilité qui leur échoit. D’une part, toute remise en cause des règles européennes qui assurent la protection des œuvres culturelles dans l’espace numérique irait à rebours des combats menés par la France depuis plusieurs années, à commencer par la directive sur le droit d’auteur qui est un succès français et qui a amélioré la protection du droit d’auteur en renforçant la responsabilité des acteurs du numérique. D’autre part, l’exercice par la France de la présidence du Conseil de l’Union Européenne pendant ces 6 premiers mois de 2022 la place au cœur de l’avancée des travaux sur la législation européenne et lui assure un rôle déterminant dans les compromis qui peuvent être noués.
« Là où l’on trouve un grand pouvoir, on trouve une grande responsabilité. » : Churchill avait raison et nos législateurs européens devraient s’en inspirer dans leurs négociations en sachant faire preuve d’ambition mais aussi de sagesse et de vigilance. En l’occurrence, la déresponsabilitation des grands acteurs du numérique serait une faute politique et morale pour une Europe toujours à la recherche des moyens de consacrer sa souveraineté numérique. Elle se solderait au surplus par un désastre pour la création française et européenne.
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