L’inquiétant M. De Gucht
7 mars 2013 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
« Nous n’avons pas l’intention de bouleverser les équilibres actuels dans ce secteur. Personnellement, je crois que notre culture est en mesure de bénéficier d’une plus grande ouverture, tout en maintenant certains dispositifs de protection. Nous n’avons pas grand-chose à craindre des Américains en matière culturelle. La question ne se limite pas à la France, il existe aussi de très bonnes séries danoises, qui connaissent un grand succès à l’export. »
Tout est dit ! L’interview de Karel De Gucht, Commissaire européen au Commerce, dans le journal Le Monde, vient malheureusement confirmer toutes les craintes que nous avions. Derrière un soutien de façade à la diversité culturelle, l’heure est au renoncement, au reniement et au grand marchandage avec pour monnaie d’échange la culture.
Qui peut sérieusement croire que nous n’avons rien à craindre des américains en matière culturelle ? Comme nous ne croyons pas M. De Gucht aussi naïf que cela, ce ne peut être que du cynisme.
La culture, et plus particulièrement l’audiovisuel et le cinéma, ont toujours été un élément central de la logique extérieure des Etats-Unis. Représentant le second poste d’exportation, l’audiovisuel constitue naturellement un enjeu économique stratégique. Au-delà, les films américains sont également un outil de domination culturelle extrêmement puissant et efficace.
Faute d’avoir obtenu gain de cause lors des négociations multilatérales à l’OMC, notamment au moment du GATS en 1993, les américains n’ont de cesse d’engager des discussions bilatérales avec les Etats pour favoriser des engagements de libéralisation pour les biens culturels. Ils l’ont fait récemment avec la Corée du Sud qui a dû renoncer aux quotas de films coréens sur ces écrans, ils l’ont fait également avec le Maroc.
Pourquoi les Etats-Unis agiraient autrement avec l’Europe ? Rien ne le justifie et rien n’indique une volonté de respecter l’exception culturelle. Rappelons que les Etats-Unis refusent obstinément de signer la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité culturelle ; qu’ils se sont activés l’an dernier au sein de l’OCDE pour appuyer l’idée que les mesures en faveur de la diversité des expressions culturelles dans le secteur audiovisuel (mesures de quotas par exemple) pouvaient constituer des obstacles au commerce ; qu’ils ont développé un discours visant à exclure les nouveaux services audiovisuels (telle la vidéo à la demande) des règles de l’exception culturelle pour mieux protéger leurs géants du Net.
Bref, tout indique au contraire une velléité des américains de maintenir, comme ils le font depuis des décennies, de manière constante, et quels que soient les présidents, une pression forte pour obtenir une libéralisation des biens et services culturels et audiovisuels.
Pire, ils y sont même invités par M. De Gucht qui, avec ses déclarations, banalise les œuvres culturelles et se prépare à en faire des monnaies d’échange.
L’heure semble désormais aux marchands du temple !
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