Quand c’est flou, il y a un loup
22 septembre 2014 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
Après quelques semaines de réflexions et de consultations, Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne a tranché : la culture échoit au hongrois Tibor Navracsics, proche du leader controversé Viktor Orbán et le numérique est confié à l’allemand chrétien-démocrate Gunther Oettinger, précédemment Commissaire à l’énergie.
Les noms des commissaires ne sont pas les seuls à changer. Leurs attributions évoluent aussi : le volet MEDIA du programme Europe Creative qui a vocation à soutenir le secteur audiovisuel ne sera plus sous la tutelle du Commissaire à la Culture ; il sera à l’avenir piloté par le Commissaire au numérique qui, par ailleurs, voit également son champ de compétences s’étendre au droit d’auteur.
Quelles conclusions peut-on en tirer à ce stade ?
Il est encore trop tôt pour connaître avec précision les projets qui seront conduits par cette nouvelle Commission, tant les lettres de mission des commissaires résonnent de formules générales et d’un flou peu artistique. Les auditions prochaines des commissaires devant le Parlement européen, qui a la capacité d’approuver ou de rejeter les candidatures et de demander des éclaircissements, seront utiles pour sortir du clair-obscur actuel.
Toutefois, un enseignement et une crainte peuvent déjà se formuler.
Un enseignement d’abord : les commissaires au numérique et à la culture devront tous deux rendre des comptes, entre autres, au Vice-Président en charge de Emploi, Croissance, Investissement et Compétitivité, Jyrki Katainen. C’est la marque de la priorité qui sera donnée par la Commission, à la recherche d’une nouvelle croissance en Europe qui nous éloignerait du spectre du chômage massif.
Nul ne peut se plaindre de cet engagement. En revanche, l’on est en droit de s’étonner que le vice-président principal auquel le commissaire à la culture devra se référer est celui qui s’occupe de la croissance et de l’emploi. Certes, la culture est un moteur économique pour l’Union européenne : la culture et de la création représentent jusqu’à 4,5 % du PIB de l’UE et presque 4 % de l’emploi (soit 8,5 millions d’emplois, sans même tenir compte des emplois induits dans d’autres secteurs). Mais, alors que l’Europe traverse une grave crise d’identité, réduire la culture à sa seule dimension économique, c’est nier sa capacité à créer des liens entre les peuples et c’est oublier qu’elle est aussi au cœur de l’identité européenne, de sa diversité, de sa complexité. Elle a écrit son passé et elle doit continuer à dessiner son avenir.
Une crainte également : Jean-Claude Juncker semble louvoyer quand il parle du droit d’auteur. Alors qu’il rappelait encore récemment que les créateurs ne pouvaient pas être traités comme des fabricants de plastique, la lettre de mission qu’il a adressée au Commissaire au numérique prend le chemin inverse. Il y est question de « briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d’auteur. » La rhétorique est on ne peut plus violente et interroge sur les objectifs poursuivis. Car vouloir, d’un côté, soutenir les créateurs et, d’un autre côté, briser le droit d’auteur relève de l’irréconciliable !
Sans doute le nouveau président de la Commission aura-t-il trop médité la célèbre phrase du Cardinal de Retz, « On ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment ! », mais il est plus que temps de donner de la clarté aux propos, de la précision aux intentions et, espérons-le, une réelle ambition en faveur de la culture, de la création et des auteurs.
Continuez votre lecture avec
- Article suivant : Convention UNESCO 2.0
- Article précédent : De ces petits pas pour rattraper des géants