Rémunération des auteurs : le but contre son camp de la production française
16 février 2018 par Guillaume Prieur - Vue(s) d'Europe
Dans les couloirs sombres des lieux de pouvoirs bruxellois, des personnages s’agitent, de façon cachée et presque honteuse, pour éviter que les auteurs et les cinéastes puissent bénéficier d’un droit à rémunération quand leurs œuvres sont exploitées sur des plateformes numériques. On aurait pu s’attendre à ce que cette démarche soit celle d’obscurs ultra-libéraux en mal de dérégulation ou de libertaires attachés à ce que le numérique soit un espace sans règles. Pas du tout, ces manœuvres, qui n’honorent pas ceux qui s’y livrent, sont le fait des représentants de certains producteurs de cinéma français.
Oui, vous avez bien lu, ceux qui se font les hérauts du droit d’auteur à la française en Europe sont les premiers à vouloir démanteler l’un de ses principaux attributs, arraché de haute lutte par Beaumarchais lors de la Révolution Française : le droit à rémunération proportionnelle pour les auteurs.
A les regarder s’agiter, on les dirait frappés d’un « syndrome du charcutier », cette tendance qui consisterait à tout vouloir découper en tranches et à ne garder que le meilleur, en l’occurrence, ce qui est le plus conforme à leurs intérêts.
Ils portent au pinacle le droit d’auteur quand il s’agit de défendre la territorialité des droits et du financement de la production, en sollicitant les cinéastes et les auteurs priés de monter en première ligne. Mais, ils n’ont pas de mots assez durs ni de coups assez bas contre le droit d’auteur quand celui-ci permet à des auteurs de prendre leurs affaires en main et d’aller négocier directement, via leurs sociétés de gestion collective, leurs rémunérations avec ceux qui diffusent leurs œuvres.
Si les auteurs font le choix de se rassembler et de gérer leurs droits collectivement, la raison en est simple : aujourd’hui, la gestion collective est la seule à garantir une rémunération aux auteurs et une transparence sur les exploitations des œuvres. Dans les pays sans droit à rémunération et sans possibilité d’accord de gestion collective, les auteurs ont une assurance : faire une croix sur toute remontée éventuelle de recettes !
La réaction de ces producteurs est d’autant plus ubuesque qu’eux-mêmes sont souvent victimes de cette exploitation à l’extérieur des frontières françaises qui fait la part belle aux intermédiaires en tout genre, à l’inflation des commissions et à l’opacité des exploitations. Mais, le dogmatisme et l’idéologie semblent avoir pris le pas sur le pragmatisme et le progressisme. On pourrait le résumer avec cette devise navrante : « Plutôt tout le monde perdant que les auteurs gagnants »
Engagés dans ce lumineux combat pour annihiler tout espoir de rémunération pour les auteurs, tous les arguments sont bons pour eux, même les plus mauvais :
– « Si les auteurs perçoivent des rémunérations avec la gestion collective, cela baissera le prix de vente des films »
Bizarre qu’ils n’aient pas entonné ce refrain quand, à la SACD, nous concluions des accords de rémunération avec les plateformes de vidéo à la demande. D’ailleurs, aucune manifestation de producteurs n’a été signalée en France pour dénoncer la baisse des prix de vente des films !
– « Cela remet en cause la liberté contractuelle et nous empêchera d’avoir de vraies négociations avec les auteurs »
Ces propos, que les maitres des forges du 19e siècle n’auraient pas désavoués et qui laissent à penser qu’en France, la liberté contractuelle aurait été supprimée grâce à l’action de la SACD, sont une étrange plaidoirie pour l’absence de toute règle.
– « C’est une immixtion intolérable de la gestion collective dans la relation auteur-producteur »
On peut naturellement sortir les mouchoirs mais plus sérieusement, garantir qu’un auteur bénéficie d’une rémunération proportionnelle avec l’intervention de sa société de gestion collective qui, jusqu’à preuve du contraire est l’émanation du peuple des auteurs et n’est pas un intermédiaire, devrait remplir de joie son producteur.
Au final, le plus grave est bien que ces agissements mettent à mal le droit d’auteur à la française et privent les auteurs et cinéastes français de perspectives de rémunération. C’est accréditer l’idée que le droit d’auteur pourrait être mis à la découpe pour mieux servir quelques intérêts. Et invoquer indûment les mânes de l’exception culturelle pour le justifier ne rend pas la démarche plus intelligente.
Ces représentants du cinéma français devraient au contraire soutenir les auteurs dans leur combat qui s’exprime notamment dans une pétition récemment mise en ligne et qui compte déjà plus de 7000 signatures. Car l’échec réel du droit d’auteur à assurer une juste rémunération des auteurs quand il n’y a pas de gestion collective nourrit tous les discours contre le droit d’auteur, qui reste pourtant le meilleur outil pour financer la création. Et la production !
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